J’ai commencé à le lire à reculons en pensant retrouver tous les préjugés en faveur des humains « le bien » versus la méchante bestiole « le mal » et bien que nenni, accrochez-vous!
Le récit se déroule dans les années 1840. La chasse à la baleine est alors vitale pour l’industrie et l’huile de cachalot a l’importance qu’aura plus tard le pétrole. C’est sur la côte Nord-Est américaine que la pêche à la baleine est en plein essor, notamment sur l’île de Nantucket au large du Cap Cod où se mélange une faune humaine bigarrée.
Connu pour son incipit entré dans la légende « Call me Ishamel », Moby Dick commence par un prêche de tolérance entre les humain et les religions. Ainsi Ishmael, le narrateur, rencontre avant son embarquement un cannibale (un maori d’après mes déductions) qui devient son meilleur ami Queequeg. Melville ouvre donc son roman pour une réflexion sociale sur le « vivre ensemble » et la différence. D’accord, on retrouve un peu du bon sauvage propre à Chateaubriand là dedans mais on s’en écarte dans le sens ou :
- le sauvage est fier, n’a pas besoin des autres pour se débrouiller dans un pays totalement inconnu. Il a lui-même gardé son intégrité, sa culture et sa propre religion à des milliers de kilomètres de chez lui.
- le sauvage est cannibale et vend des têtes humaines, ce n’est donc pas un doux sauvage prêt à lécher les pieds de l’homme blanc son supérieur.
- le sauvage remet son ami à sa place par rapport aux préjugés de parts et d’autres.
A des années lumière du sud de la case de l’oncle Tom paru à la même époque et qui m’a brisé le coeur, le/les sauvages en question n’entendent pas se laisser marcher sur les pieds et ont le répondant requis. Ce sont tous des forces de la natures et ils occupent une des places hiérarchiquement les plus importantes de celui du bateau : celui de harponneurs et sont placés juste en dessous des lieutenants pour ce qui est de la paye. En même temps que l’analyse sociale, L’auteur fait une analyse très actuelle de la religion.
Ishmael et Queequeg embarquent pour aller pêcher la baleine. Melville aborde de façon quasi documentaire le thème de la chasse à la baleine qu’il va explorer à fond, montrant les dangers réels pour l’époque de se frotter aux cachalots et l’aventure humaine de la chasse à la baleine à bord et vis à vis des autres baleiniers. En même temps, il aborde le thème biblique de Jonah et la baleine, du bien et du mal.
Il embarque à bord du Pequod un baleinier pour une chasse de 3 ans. Le capitaine de ce navire, Ahab/ Achab en français, a eu la jambe arrachée par une baleine et n’a apparamment jamais digéré le fait d’avoir été vaincu/humilié par cette baleine. De prédateur, il est passé à proie. En fait, c’est l’orgueil d’Ahab qui le mène dans sa vengeance absurde et qui le perdra lui et ses hommes. Ahab fait référence au roi d’Israël, présenté dans l’Athalie de Racine et la bible comme un tyran et un impie qui aurait tué Jezabel (ce n’est apparemment pas la réalité mais je pense que Melville n’avait pas internet à l’époque). Ce capitaine se montre dès le début tyrannique, ombrageux et mystérieux. Peu de temps après le début du voyage, il annonce clairement qu’il est en croisade contre le mal absolu et qu’il offre une somme importante à qui verra pour la première fois la légendaire baleine blanche : Moby Dick, la baleine qui lui a mâchonné la jambe.
Au fil des chasses, il devient évident que la chasse commerciale des autres baleines n’est qu’accessoire pour lui et qu’il n’a qu’une unique obsession : Moby Dick. Au fur et à mesure, le narrateur et l’équipage changent également et doutent de plus en plus du bien fondée de cette croisade, qui, comme toute croisade, est guidée par le fanatisme, l’obsession de la vengeance et l’orgueil. Mais comme à chaque fois qu’on est suffisamment engagé dans un plan louche, on ne peut plus reculer sans se renier, tous suivent le capitaine au désastre annoncé. De même la vision de Moby Dick change au long du roman, de la bête monstrueuse et satanique décrite au début, au fil des chasses, le narrateur le voit de plus en plus comme la punition divine de Jonah et de son orgueil. Par ailleurs, Moby Dick est de la couleur de la pureté divine : blanc. La description des chasses est de plus en plus empathique avec les animaux et à mesure que le capitaine sombre dans la folie, ses actes sont de moins en moins humains. A quelques jours de la rencontre funeste, il refuse ainsi d’aider le capitaine du navire le Rachel à chercher son fils disparu dans une chasse contre Moby Dick. Vers la fin, quand le grand cachalot blanc apparaît enfin à la 660ème page, le sort en est déjà jeté et tous savent qu’ils vont mourir pour une folie humaine. Ils essaient de raisonner Achab en vain.
« — Oh, Achab, cria Starbuck, il n’est pas trop tard, même maintenant, le troisième jour, pour renoncer. Vois, Moby Dick ne te cherche pas. C’est toi, toi qui la cherches follement. »
La bataille titanesque commence contre un ennemi déterminé et très énervé (il venait de croiser trois navires qui tous avaient essayé de le chasser) et Moby Dick finalement coule le Pequod et son équipage. Ishmael seul survit et est récupéré par le Rachel qui retrouve un fils perdu.
Ishmael est lui-même une référence biblique faisant référence au fils sacrifié d’Abraham qui survivra néanmoins et se multipliera pour propager la connaissance. De même Ishmael est le seul survivant de la poursuite folle de Moby Dick rejoignant son destin de témoin.
A propos des cachalots:
Au niveau des références, un cachalot blanc de 55 tonnes ayant réellement existé en 1830, appelé Mocha Dick a été légendaire à cette époque car il coulait les navires en fonçant sur la coque et en la perçant Il n’attaquait que les baleiniers et jamais les bateaux de plaisance. Il fut finalement tué après avoir reçu un grand nombres de harpons dans le corps au cours de sa vie ce qui l’a probablement affaibli. Ce ne fut pas le seul cas recensé de cachalots devenus légendaires par leurs combats.
Les grands cachalots de ce type s’éteignirent après la deuxième guerre mondiale. Les progrès fait en matière d’armement rendirent impossible pour les cachalots de se défendre ou de s’échapper. Ayant frôlé l’extermination de l’espèce, un moratoire sur la chasse au cachalot a été signé en 1985. Nous ne savons que très peu de chose sur le cachalot si ce n’est que ce sont des animaux gigantesques encore inconnus pour nous car très difficile à observer. Ils sont les seuls animaux à pouvoir plonger dans les abysses, qu’ils se nourrissent de créatures colossales telle que la pieuvre géante, qu’ils ont un cerveau très développé et sont capables de communiquer mais ils ont peu de connexions nerveuses au niveau du cerveau, il passeraient la majeure partie du temps à dériver en rêvant. Effectivement quand on regarde les images, ils ont l’air plutôt placide. Les cachalots se défendent entre eux et viennent à la rescousse des plus faibles, chose que les baleiniers exploitaient pour en tuer plus.
Passionnante fiche de lecture ! Merci pour ce beau résumé !
Très intéressant ce cachalot… C'est curieux qu'on n'en sache pas plus sur lui encore aujourd'hui …
Un jour peut-être, je lirai Moby Dick ! En attendant, je sais grâce à toi de quoi ça parle et je pourrais faire ma savante en ressortant les grandes lignes de ce pavé !